J’aime pas Noël mais ça n’enlève rien à la beauté du monde

[1/3] Nouvelle publiée à l'hiver 2021 - Par Juliette TOURON

Science, Poésie et Bizarrerie cheminent comme 3 dames complices et inséparables : « Les flocons sont comme des lettres qui nous viennent du ciel. »

Légers, dansants, ils tourbillonnent et chutent dans le silence feutré d’un jour d’hiver qui a choisi de se caler sur
0 degré. Au contraire de tout ce qui vit, c’est leur discrétion même qui les dénonce et fait naitre le soupçon. Écoute les flocons tomber.

Gracieux cristaux de neige, ils s’agrègent, se composent un dessin, une taille. Naissent dans les nuages, grossissent, puis, trop lourds tombent, quittent leur ciel soyeux et s’abîment imperceptiblement. Selon la température, ils fondent plus ou moins vite. Il n’y a pas de neige au Brésil et pourtant si ! Dans les nuages. Mais ils fondent trop tôt et l’attente des petits Brésiliens est vaine.

Les photographes, peintres, scientifiques guettent sans fin le flocon parfait, plate étoile, blanche fougère. Sur Mille, un seul pourrait prétendre au titre. Chacun est unique. Chercher 2 flocons identiques pourrait prendre une vie.

Qui voit un flocon voit des propriétés mathématiques. La beauté secrète de l’hiver a 6 branches autour d’un point qui se développent simultanément de manière parfaitement symétrique. Ne seraient-ils pas doués d’une âme ?

Cette énigme court sur des siècles. Heurte les croyances immédiates et certaines vérités nouvelles : Ernesto Mpemba a 13 ans quand il découvre que l’eau chaude gèle plus vite que l’eau froide.

Le secret de la croissance des flocons continue de hanter les rêves des meilleurs physiciens et mathématiciens. Et d’occuper la Commission internationale de la neige qui a déjà répertorié 90 morphologies.

Un jour Ukichiro Nakaya s’écrie‭ ‬«‭ ‬،M画‭ ‬! »

Il a réussi à en fabriquer : un cylindre, de la vapeur d’eau et en guise de germe… un poil de lapin.

Y-aurait-il des poils de lapin dans les nuages ?

[2/3] Nouvelle publiée à l'hiver 2021 - Par Juliette TOURON

Noël approche, l’inquiétude pointe tel un dard régulier et inoffensif, puis vient l’envie de chercher les souvenirs heureux.

Je me souviens d’un matin : l’enfant en pyjama les cheveux en broussaille tire de toutes parts le papier coloré du cadeau, et offre une seconde son sourire fou pour un polaroïd qui jaunira trop vite.

Je me souviens de la bûche roulée de la mère, crème au beurre café et biscuit qui attend dans le chai, pliée dans le torchon, à l’abri des chiens et des chats gloutons.

Je me souviens de la famille empilée dans les chambres à la queue leu leu, les armoires cirées de l’avant-veille, et le bébé bien protégé dans celle du fond près de ses parents magnifiques.

Je me souviens de la poupée blonde qui dit « Maman » lorsqu’on la retourne, joyau de modernité offert par de riches cousins dont je ne sais que faire, je suis une Indienne et ne rêve que d’arbres et de courses dans les collines.

Je me souviens d’une veillée magique où, maquillées et déguisées, la mère et moi chantons dans des petites bouteilles de PSCHITT orange, unies dans des rires qui nous chatouillent, conjurant la solitude et le lit vide.

Je me souviens du cantonnier du village qui vient livrer le panier garni offert par la mairie aux vieux et aux vieilles : sucre, farine, langues-de-chat ALSACIENNE et pralines roses que je dérobe très vite.

Je me souviens du chien du voisin qui se couche près de la cheminée pour passer Noël avec nous, il regagne sa maison au petit matin, l’os du jambon entre les dents.

Je me souviens de la machine à écrire et de son coffre en plastique noir, sublime objet commandé à la Redoute par le père : comme cela tu pourras taper tes histoires et écrire ton premier livre.

[3/3] Nouvelle publiée à l'hiver 2021 - Par Juliette TOURON

Un jour Dame Chauve-souris ramena de la ville une inquiétante nouvelle.

Tête en bas face à ses amis paisiblement enfouis, l’araignée-chameau, le tatou rose et le célèbre ver Méphistophélès, elle annonça :

« Les Longues Jambes vont creuser et retourner en tous sens notre colline pour enfouir leurs déchets,

Il nous faut détaler avant la pleine lune de mars. »

Méphistophélès s’inclina :

« Vénérable chiroptère nous te remercions, toi qui parcours de si grandes distances et nous prévient des folies des faiseurs de feu.

Moi les déchets ça me connaît !

Présent en ces collines depuis des lustres comme mes aïeux les maitres du compost,

Je descendrai s’il le faut encore plus profond.

Car mon grand âge m’interdit tout voyage

Et peut-être trouverai-je,

Avant de m’éteindre, le moyen de digérer et recracher leurs immondices.»

Chacun soupira de tristesse et de résignation, plus que bons voisins de terre

Amis ils étaient devenus.

« Faisons bien vite notre baluchon, dirent l’araignée-chameau

Et le tatou rose,  

Nous cheminerons ensemble nos petits sur le dos.

Mais où donc irons-nous ? »

Le mammifère ailé décrochant ses griffes se laissa choir à leur côté :

« Je vous guiderai vers un lieu

Où poussent et meurent les arbres sans être coupés,

Où une eau pure rafraichit les sols

Et où le plus petit des vivants a droit au respect. »

Sur ce, ils firent un dernier repas, s’enivrèrent d’humus et de petits cadavres exquis.

Si, un dimanche, allant au bois,

Vous voyez le tatou rose et l’araignée-chameau

Silencieux et fragiles

Rêvant avec mélancolie du vaillant Méphisto,

Songez à leur voyage difficile

Pour trouver en ces terres souillées un aimable gîte

Et saluez-les pour moi. 

Laisser un commentaire